'' Le collectionneur'' – Marc Bauer
Du 1er février au 14 Avril
Le Centre Culturel Suisse, situé dans le marais, présentait cette année l'exposition ''Le collectionneur'' de Marc Bauer, un artiste/dessinateur d'origine suisse extrêmement talentueux. Au travers de dessins, fresques murales, et peintures sur plexiglas en noir et blanc, l'artiste retrace l'histoire de la spoliation des juifs par les nazis, usant d'un trait spontané et poétique, fort et fragile à la fois.
La première salle d'exposition, d'assez petite taille, est saisissante. Trois de ses murs sont occupés par des dessins petits formats au crayon, mais le clou du spectacle est un dessin mural qui prend toute la place, à la craie noire. Impressionnant, étonnant. Plus on s'approche, moins l'on peut comprendre de quoi il s'agit. La salle permet juste le recul nécessaire pour saisir en grand les enchevêtrement de personnages, de tonalités de gris différentes. On comprends peu à peu qu'il s'agit là d'un rideau de théâtre, en train de se fermer sur un bal, ou quatre personnages dansent encore. Le tout est plongé dans une atmosphère assez surréaliste, avec des personnages, troncs d'arbres,architectures, formes imbriquées. Il y a quelque chose d'assez inquiétant, voire cauchemardesque, scindé en son milieu par une scène encore berçée d'insouciance. Dans les années 40, durant l'occupation, les bals étaient en effet chose commune au sein des théâtres (la fresque est réalisé d'après une photo d'archive, comme une bonne part des autres dessins de l'exposition).
Ce premier tableau mural donne le ton , tout en hiérarchisant l'espace, en le construisant. Lors de la dernière exposition, Body Languages, le CCS ne semblait pas avoir du tout la même ambiance. Il y a quelque chose de plus froid dans la salle aménagée par Marc Bauer, d'un peu glacial …
Tout comme le propos du dessinateur, qui nous ramène à des choses que nous n'avons pas vécues, mais qui restent ancrées dans une histoire et un imaginaire commun, enrayé par des films, des récits … la Seconde Guerre mondiale. Il paraît assez étonnant qu'un artiste suisse s'interresse à ce point et semble habité par cette période de l'histoire puisqu'il n'a pas de relation avec le sujet, que ça n'appartient pas à son histoire personnelle. Cependant, Marc Bauer explique justement cette particularité qu'il a de s'intéresser à ces choses qui lui échappent.
Les autres dessins de l'exposition, sont pour la plupart en lien direct avec la spoliation des juifs. Travaillant avec des photographies d'époque de famille, d'amis, avec des images d'archive, Marc Bauer tente de reconstituer l'atmosphère des années quarante, sous le signe d'une certaine fragilité. Pour bonne part, ces dessins sont ceux d'intérieurs, vidés de leurs habitants, ou des boxes dans lesquels étaient entassés les objets volés au juifs et sur lesquels se construisait tout un commerce. Des meubles aux histoires dramatiques …
Ne sachant pas réellement sur quoi porte l'exposition en y entrant, j'ai du mal à comprendre, dès le départ, de quoi il s'agit. Entre ce grand mur peu compréhensible, de la vaisselle entassée, le visage du capitaine Hadock et des papillons dessinés au crayons,. Je met du temps à saisir le lien entre les choses.
Le lien, c'est ''le collectionneur''. Collectionneur d'images, collectionneur d'objets, collectionneur de souvenirs. L'homme omnipotant qui contrôle..
Marc Bauer entame dans toute cette exposition un réel travail de mémoire, avec des dessins jouant sur plusieurs temporalités, et dont le caractère principal est l'effacement. J'apprécie énormément le travail du dessin, allié à celui du souvenir. C'est certainement le médium le plus approprié qu'à utilisé là l'artiste.
En retravaillant ses surfaces au crayon ou à la craie avec la gomme, il creuse dans le dessin, opère une soustraction , l'efface littéralement. Les dessins muraux voués a être repeints et la collection de papillons soutiennent l'idée d’éphémère, de fragile . Les quatre vases peints en céramique, aux allures bourgeoises, balisent les coins de l'espace d'exposition et leurs bouquets se fânnent, au fil du temps qui passe. La seule touche de couleur disparaît elle aussi. L'artiste semble vouloir que l'on profite de l'instant.
Les peintures sur plexiglas ont cet aspect fantomatique qui les met en mouvement, leur impose un flou, une rêverie inquiétante. Tout est finalement très étrange. Dans un style qui se corrode, Marc Bauer fait donc apparaître les images. Jamais trop stylisées mais toujours basiques, reconnaissables. Nous spectateurs les reconnaissons partageons cet imaginaire commun qui nous permet de faire le lien entre les représentations et de se faufiler dans la brèche de ce dessin, pas si figé que cela.
Alors certes, le dessinateur n'a pas vécu cette part de l'histoire, mais il nous permet de nous y plonger, de passer de photographies d'endroits intimes, à une histoire plus globale. J'ai été particulièrement sensible à une série de dessins, narratifs cette fois ci. On suit l'entrée à paris d'un jeune soldat allemand, encore naïf et émerveillé.
'' Nous arrivons dans la ville,
le soleil et les sourires nous baignent.
Mon ombre noire est plaquée,
dense et immense,
devant mes pas
et je sais que la ville,
avec tout ce qu'elle comporte est à nous,
tout ce que nous voyons nous est offert, et,
à perte de vue,
cela nous appartient.
Nous sommes au delà de nous- même dans le reflet de leur regard.''
L'association des dessins à la narration écrite est très forte. J'apprécie également ces phrases simples écrites à même l'image, avec des lettres en majuscule, au crayon. Parfois couplées de fautes d'orthographes, des syntaxes maladroites. Comme une difficulté à dire les choses, à la manière de Beckett. L'exposition se termine, finalement, par le dernier grand dessin mural. Un homme, tel un grand marionnettiste, est penché sur une maquette énorme de ville , représentée à la manière d'un paysage. Les grandes traînées noires et violentes entourent la représentation, comme des grands bras, des grands monstres de cauchemar. L'impression très lisible de la toute puissance …
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire