mardi 15 octobre 2013

Azimut - Aurélien Bory





Univers,

Scénographie,

Lumières,

Acrobates

pendus,

suspendus.



                               Tout y est , avec mesure et justesse .

La langue arabe embarque avec elle des musiques aux résonances berbères empruntes d'une spiritualité discrète et poétique . En traçant un chemin entre le sol et les hauteurs nous sommes suspendus entre ciel et terre dans d'éternels va et vient,  au rythme des magnifiques tableaux visuels que crée Aurelien Bory ...



Toiles de juttes lestées en lévitation , suspensions et compositions qui s'échaffaudent en de grands conglomérats  vivants et colorés . C'est  du ciel à la terre et de la terre au ciel que cette houle humaine lourde de gravité se pose et enfante.






Une écriture  comme un éternel retour sur des échafaudages en clair obscur.

jeudi 3 octobre 2013

Cyrille Weiner / Bellavieza - QPN - Le temple du goût

Deuxième galerie visitée pour la QPN 2013, le Temple du Goût. Une salle d'exposition sous de vieilles voutes, très sympathique, mais ouverte seulement ponctuellement. Dommage ! 

Deux séries photographique y sont présentées. D'un côté nous avons celle du collectif Bellavieza et de l'autre celle de l'artiste Cyrille Weiner. 

D'emblée, c'est dans la végétation luxuriante que nous sommes amenés à pénétrer avec la série du collectif de photographes nantais, prenant des clichés dans '' la Petite Amazonie'' . 


''Laissant derrière nous les traces urbaines, nous sommes entrés dans ce lieu paradoxal ou le désordre naturel côtoie l'empreinte humaine. Immergés dans cette zone humide et marécageuse ou la végétation se fait luxuriante, nous nous sommes laissés emporter par l'ambiance mystérieuse de ce lieu ''


Sans être transcendants, les clichés semblent sortis tout droit d'un voyage en Amazonie, la vraie. Alors que là, Nantes est sous nos yeux, métamorphosé en un paysage inconnu, incongru, insoupçonné somme toute. Une invitation à se rendre en pleine nature au coeur de la ville ...

Et c'est sans doute ce thème qui liera nos deux parties d'exposition : la nature dans la ville, 
'' l'interaction du naturel et du construit'' qui bâtit la série '' La fabrique du pré'' de Cyrille Weiner. 


On parle plus souvent de friches industrielles, mais ici c'est la nature en friche qui domine, qui empiète, résiste, au pied des gratte ciel . Rescapée dans un paysage en transit, dans un  '' en train de se faire''. Lieu de contraste presqu'irréel ou quelques personnages semblent s'accrocher, dans l'attente.



C'est une sorte d'état des lieux de l'écriture ''in progress'' de l'urbanisme que nous offre Cyrille Weiner.

Interview intéressante ici


jeudi 26 septembre 2013

Guillaume Lemarchal - QPN - Galerie RDV

C’est à la galerie RDV que je démarre le cycle de la Quinzaine Photographique Nantaise 2013. Par sa série ‘’ Zone trouble et tremblement’’, Guillaume Lemarchal y traite à sa manière la question du ‘’ Biotope’’ soulevée cette année par les exposants de la QPN.

Cette dernière est incarnée au sein des photographies de l’artiste, par une volonté de témoigner d’un état de fait entre homme et nature. De notre rapport, des traces laissées dans ce milieu via notre évolution conjointe. Et ce par des cadrages assez judicieux, offrant un portrait gris bleuté aux nuances ocres et vertes, relevant tout la vérité des paysages.


‘’ mon travail s’appuie beaucoup sur l’occupation des territoires, notre manière d’habiter le monde et ce que cela fabrique en terme d’espace et de construction. De même, quelles empreintes et quelles scories laissons nous, quel nouveau paysage est ainsi élaboré, et surtout que nous dit ce paysage de nous même ‘’ - Guillaume Lemarchal



Dans cette galerie très White Cube , sans aucun cartel , il est difficile de saisir la portée politique dont se défend l’auteur. En parcourant les continents vers des lieux chargés historiquement, humainement comme écologiquement ( Tchernobyl, Russie orientale, Corée etc… ), on voit apparaître une certaine occurence de constructions militaires par exemple, de vestiges, et l’on y saisit bien la problématique de l’occupation du territoire, tout comme celle d’ une résistance naturelle.



De prime abord, j’ai donc sensiblement été plus touchée par l’aspect formel de ces photos, dont je l’ai dit , les couleurs sont très ‘’ vraies’’. Mais ce sont surtout les choix de cadrages, le découpage des prises de vue, leur rythmique, qui éloignent cette photographie de paysage de la photographie documentaire pure. L’artiste parle lui même de considérer les architectures naturelles et humaines comme des sculptures dont il façonne les lignes avec son objectif. ‘’ Ces artefacts ponctuent, structurent les espaces, les découpent, les divisent en créant des zones incertaines, des lignes, des brisures, des scissions, des frontières.’’



Première exposition plutôt intéressante donc, fonctionnant à mon sens comme un témoignage original de notre relation à la nature, mais qui est surtout une porte ouverte sur le reste du travail de ce photographe.

Mike Kelley - Centre pompidou




‘’Tout m'apparaît comme l’astre du convenable , le vivant rigidifé. Le désordre de Mike Kelley intègre cette dimension insaisissable qui colle et glisse à la fois entre nos doigts. Ce qui, une fois canalisé , tente de prendre une forme. Incertaine, étranglée.

La liberté m’émeut, l’admission de la part d’obscur, de visqueux. L’animalité, les fluides, l’inqualifiable. Non programmé.

Cet univers admis me donne envie de pleurer. Pour pleurer l’inhibition, la honte, toute ma contenance. Arreter la justification, le rejet de mon intégrité, hors norme. Hors frontière.
Deverser le contenu.

Ces oeuvres sont des fenêtres sur l’absurdité qui m’assaille.’’



Bien en peine d’arriver à tirer autre chose que de l’émotionnel

lundi 22 juillet 2013

Les Freres Bourroulec - Arts Décoratifs de Paris






    Nouvelle exposition pour les deux frères bretons, après la grande rétrospective qui leur avait été consacrée au Centre Pompidou de Metz. Les Arts décoratifs de Paris nous accueillent et nous livrent tout le travail des frères Bourroulec de manière assez majestueuse au moyen d'une scénographie très juste.



    La pièce marquante de l'exposition, en effet, est le grand hall dont la voute et les murs ont été recouverts d'un tissus blanc tendu, créant un nouvel espace plus cosy, où s'épanouissent les créations monumentales des deux designers. On y trouve ainsi les fameuses parois modulables pour lesquelles ils sont très connus, adoptant des formes organiques ( algues, nuages ... ) et développées ici à l'échelle de l'espace du musée.
      Dans cette exposition plus que lors de leur précédente rétrospective, on sent réellement la capacité des objets et meubles à structurer l'espace. La scénographie choisie met ce paramètre en exergue et nous invite à circuler très naturellement entre les oeuvres sans pour autant se sentir face à une vitrine d'exposition. Les matériaux sont chauds, colorés, le regard attiré par la matière et rythmé par les différentes structures. C'est très appréciable, le tout circule bien, jusqu'à leur fameux '' Textile field'' , un grand tapis très confortable permettant de s'assoir et de s'allonger tout en contemplant le reste de la pièce. Amusant et agréable! 



       Les deux ailes encadrant la grande partie centrales sont un peu plus spécifiques. D'un coté des petites salles aménagées avec thématique, une chambre, une salle de bain. Bien présenté, rien a dire, mais plus dans ce que l'on s'attend à voir dans un expo de design. Des petits salons ikea ++ somme toute. Ce qui n'enlève en rien à la qualité de leur boulot et aux ambiances des mises en scène !

De l'autre côté on a cette longue pièce ( voir photo ci dessus), aménagée comme un grand espace de travail, et structurée par les meubles des frères Bourroulec. On y trouve de petits bureaux fermés sur eux mêmes et emboitables ( des parois montent de part et d'autre de la planche de travail), de longues tables types open space, modulables également, mais surtout une oeuvre les ayant rendu célèbres  : l' ''alcove high back sofa'' .




     Ces canapés , tout comme les bureaux évoqués plus haut, ont la capacité d'etre rapprochés et de créer une intimité au milieu de collectivités ou au sein d'espaces public. Leur agencement joue des cloisons, et on est d'avantage dans le vocabulaire de la pièce que du meuble.

     Enfin, aux murs de cette pièce sont accrochés une quantité faramineuse des dessins préparatoires des deux frères. A mi chemin entre illustration, abstraction, recherches de matières et recherches de forme, on s'éloigne un peu de l'objet designé pour se trouver aux sources du travail des designers. Ces esquisses colorés complètent tout à fait l'exposition, accompagnées de quelques vidéos montrant les frères Bourroulec à l'oeuvre . 

En définitive, cette exposition ci m'apparait comme la plus aboutie, après celle de Metz, et ce grâce au travail de scénographie qui a été en grande partie confié aux designers eux même. Un plaisir à parcourir!

mercredi 10 juillet 2013

La Ribot - Despliegue


La Ribot '' Despliegue '' 
Vidéo 45''
Juillet 2013 au Centre Culturel Suisse . 

Jusqu'au 14 juillet 2013, l'installation Despliegue de La Ribot est présentée au Centre Culturel Suisse . 

Au regard des nombreuses expositions vidéo contemporaine, l'artiste madrilène se démarque du lot par une présentation assez magistrale et très percutante visuellement. 

Au sol de la pièce qu'occupe '' Despliegue'', est projetée une très grande vidéo de la Ribot dans son propre atelier. La caméra est fixe et filme La Ribot en plongée en train d'élaborer au sol une grande composition rectangulaire, au moyen de vêtements et d'objets hétéroclites . Tout en agençant ces derniers dans sa '' page'', elle tient une caméra dans ses mains, enregistrant son action de manière mobile - ainsi que les bruits émis - et qui est retransmise à la verticale cette fois ci, sur une télévision accrochée au mur de la galerie. Cette vidéo mobile est également introduite dans la projection au sol, par trois écrans rapportés petit à petit et disséminés parmi les objets hétéroclites. 

Cette vidéo performance a vraiment trait à la peinture, à la composition, et tend à la picturalité. J'ai vraiment la sensation, en étant introduite dans cette pièce, d'assister à l'élaboration d'un tableau dans lequel les objets sont utilisés comme des surfaces, des couleurs, des valeurs. La Ribot y orchestre tout cela, faisant corps avec son tableau dans une chorégraphie hypnotisante, relayée par les multiples points de vus et mises en abimes permises par les écrans et projections vidéos. 

Un tableau vivant. 

Correspondances - Espace Louis Vuitton

CORRESPONDANCES
 Du 1er Février au 5 mai 2013


Commissariat : Erik Verhagen


     La maison Louis Vuitton présentait cette l'exposition '' Correspondances'' au sein de l'espace culturel qui lui est dédié sur les Champs Elysées. Si le fondateur de la marque a bâti sa renommée sur la création et la vente d'objets de voyage de luxe, le lieu d'exposition accolé au grand magasin ne déroge pas à cette direction et sait rester dans cette veine de l'Ailleurs en présentant une rétrospective assez marginale : celle du Mail Art, ou Art postal. A travers le travail d'artistes de différentes générations, l'on aborde cette pratique depuis ses prétendues origines, dans les années cinquante, jusqu'à aujourd'hui.
    Sans d'autre mot d'ordre que celui de '' Correspondances'', l'expositiona a le mérite de convoquer des questionnements très contemporains mais dans une logique un peu trop inventorielle à mon sens... Aussi c'est par les problématiques sous jascentes au Mail art que j'ai choisis de rendre compte de mon parcours. 

    Mon entrée dans l'exposition s'est faite sans attente particulière ni idée préconçue étant donné le peu de choses que pouvait m'évoquer le mail art. Il faut en effet noter qu'il s'agit d'une pratique relativement isolée, sous le signe de l'éphémère et emprunte d'une légèreté certaine. 
    Dans la première salle nous est présentée l'œuvre de Ray Johnson, initiateur non revendiqué de l'art postal à la fin des années cinquante. Cette dernière incarne une pratique participative sous le signe du réseau, de l'interaction et met ainsi en avant un des grands thèmes de l'exposition. 



    En effet, si au premier abord on n'y voit seulement des enveloppes et courriers annotés, habillés de divers collages et dessins, on finit par comprendre que l'artiste met en œuvre un protocole : Il demande aux destinataires des courriers qu'il a lui même ''customisés'' de les parachever et de les lui renvoyer. Il est intéressant de noter qu'à ce stade ci, le résultat de ''l'œuvre'' dépend de l'activité d'un tiers, de son implication. Ce dernier, le destinataire, est donc actant et passe de sa position première à celle de réexpéditeur.

    Ici l'on joue de l'interaction, mais sans tomber dans l'art interactif si répandu aujourd'hui : Nombre d'oeuvres contemporaines sont parfois bêtement ludiques et didactiques, pour donner au spectateur le sentiment d'être en activité, et non passif face à l'art. Seulement, l'action du public étant incluse dès le départ dans la création de l'œuvre, elle est déjà attendue, prévue. Dès lors, le public n'agit pas réellement sur l'œuvre, mais est agit sans le percevoir.. 
Ainsi Ray Johnson, mais également Vittorio Santoro par exemple, questionnent assez radicalement le statut d'auteur dans leur travaux. L'oeuvre n'est pas imposée comme telle, de fait, par l'artiste. L'objet prosaïque qu'est la lettre devient, se construit en tant qu'oeuvre à partir du moment ou elle est envoyée et passe par la main d'autres personnes impliquées dans le protocole.

    On arrive finalement a percevoir un décalage notable entre le mail art et l'art contemporain, lequel est d'autant plus fort du point de vue du mode d'exposition. ''Correspondances'' ne m'a pas convaincue outre mesure de manière formelle .  L'espace est terne, et les œuvres ne rayonnent pas. Le mail art, pratique très vivante dans laquelle les objets circulent, sont manipulés, est présenté comme figé. Immobiles et accrochées sous plastiques, les lettres manquent de vie et les tables sous verres sont peu
engageantes.

    Bien sur, il faut penser l'exposition, ses contraintes et la protection des œuvres... Moi même, je ne sais pas comment j'aurais concilié les choses.. pouvoir manipuler cartes et lettres avec des gants,peut être ? La poésie du mail Art se situe dans la temporalité et l'espace de la correspondance, pas dans le white cube, ni dans l'objet qui perdure de cette correspondance. Choix complexe que de présenter et scénographier l'art postal dans un espace coupé lui même du temps et du vivant.

    Il est vrai que certain artistes de l'art postal, issus d'une deuxième génération (à partir des années 1980), on su s'adapter aux contraintes muséales, à contrario de leurs ''ailleux'' beaucoup plus investis par la nécessité de sortir de l'espace sacralisant de la galerie. Et cela tout en recherchant un nouveau langage d'expression, en marge du marché de l'art ( avec des œuvres souvent gratuites et pauvres).

    Ces artistes les plus récents, donc, ont finit par conjuguer leur pratique aux espaces institutionnels, et il est intéressant de voir comment ils parviennent finalement à détourner les choses. Dan Võ par exemple, présente une œuvre ayant tout du visuel de l'installation/sculpture contemporaine. Une valise a roulette au centre d'une petite salle blanche, ouverte et contenant un morceau de statue médiévale. Cette dernière, Dan Vo en a fait l'acquisition et l'a scindée en plusieurs morceaux avant de l'envoyer de la même manière, par la poste, à différents musées dans le monde. 
Cette entreprise ramène naturellement l'œuvre à l'aspect prosaïque qu'elle revêt durant son transport, mais cristallise surtout le lien fort qu'il existe entre le temps et l'espace dans Correspondances. Car l'on parle bien de faire voyager un présent, celui de l'énonciation, à travers l'espace au moyen de la poste, pour le faire atterrir dans un autre lieu, un nouveau présent où la rencontre se fait. 
Cette installation est bel et bien synonyme d'un déplacement dans l'espace, appuyé par ce
morceau de statue médiévale, chargée elle aussi d'une temporalité propre à la fois par
son caractère historique et par son expéditeur.

     Une autre pièce de l'exposition a retenu mon attention : la vidéo '' Lettres mexicaines'' de Clarisse Hann. Après avoir tourné un documentaire sur un prètre mexicain, l'artiste promet de lui envoyer ses images, mais il ne les reçoit jamais par erreur de la poste. Comme une seconde promesse, Clarisse Hahn reprend un second film avec ses anciens rush, et invente une correspondance fictive entre amis, à l'image de sa relation avec le prètre. Nous voyons donc ces petites tranches de vie mexicaines, paysages, personnages, villages. Quelque chose d'assez onirique nous berce, accompagné par la voix de clarisse Hahn qui lit des courriers venus de l'autre côté de l'atlantique, parlant de son voyage
passé là base et de sa vie actuelle.  J'ai beaucoup apprécié cette petite parenthèse qui ramenait à la magie de ce qui se jouait à l'intérieur de la correspondance. On y perçoit très bien la différence des deux
temporalités, la distanciation, le Ailleurs et le Maintenant. Les images, le mouvement, donnent le ton et permettent d'apporter de la vie à l'espace de l'exposition.

      Le dernier point assez sensible de ''Correspondances'' est plutôt rangé du côté du spectateur. On est curieux de découvrir les réponses aux lettres, les différentes écritures ; nous sommes introduit dans l'intimité d'une correspondance. Et puis, la profusion de courriers, colis, timbres, nous ramène à des souvenirs, et pour ma part à une certaine nostalgie. Celle de la lettre, de l'objet-lettre.

     Stephen Antonakos demande à des personnes de lui envoyer des colis, contenant ce qu'ils souhaite, pour son ''Package Project''. Mais jamais il ne les ouvrira. Nous sommes face à ses petites capsules dont nous ne sauront jamais ce qu'elles contiennent. On fantasme, un peu. C'est léger, mais cela suffit à donner envie et à se rappeler une certaine part de l'enfance, celle de l'attente du courrier, d'une réponse. A l'ère de l'immatériel, on a sa boîte mail dans la poche, nous sommes hyper-connectés. Et il me semble parfois que la lenteur du courrier avait quelque chose de poétique à l'instar de l'immédiateté des
moyens de télécommunication actuels. 


       Sous des dehors assez froids, Correspondances est une exposition qui arrive judicieusement,à une époque de transition, et qui sait poser des questions intéressantes. Elle fonctionne comme une mise en abime de ce qui sous tend les relations humaines : interaction, interdépendance, et questionne la poursuite de la pratique artistique sur ce terrain, à l'heure de l'immédiateté et du message immatériel. Qu'elles nouvelles voies se verront explorées ? S'ouvre t-on à l'email art ?

dimanche 7 juillet 2013

Linder, Femme Objet - MAM Paris - 2013


Du 1er Février au 21 Avril 2013 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

Commissariat : Emmanuelle de l’Ecotais
assistée par Véronique Bérard-Rousseau

      Linder Sterling, dite Linder, investit cette année le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris à l’occasion d’une rétrospective complète de son parcours, des années soixante-dix à aujourd’hui. Féministe engagée, l’artiste réfléchit sans discontinuer la condition féminine selon un axe majeur : celui de la femme objet ; qui donne son nom à l’exposition. Plus ou moins convaincante sur le fond, et dans le temps, je tiens cependant
à aborder l’oeuvre de Linder au travers de la scénographie qui nous a été proposée. Tout à fait cohérente et soignée, elle suit chronologiquement l’oeuvre de Linder, d’un fourmillement créatif à une redite explicite.

    Le texte d’entrée de l’exposition nous invite à pénétrer l’univers de l’artiste britannique. Elle grandit à Manchester, en pleine crise économique, et participe à toute la révolte artistique qui s’en suit, surfant sur la vague libertaire punk, tout en s'intéressant de près au mouvement de libération des femmes.Ces éléments contextuels justifient pour bonne part les axes de travail de l’artiste, son intérêt pour les matériaux pauvres
(magazines), son lien avec la scène musicale punk; mais également le terreau de son engagement envers le statut accordé à la femme.

    En effet, les premières photos de l’exposition ( série We are the kind of peope who know the value of time), disposées dans l’entrée, sont prises dans des clubs de travestis, à Manchester, dont Linder dit qu’ils sont les seuls lieux ou l’on peut se sentir bien,s’abstraire d’un jugement ‘’sans être persécuté de quelque façon que ce soit’’. De même que les clichés de Diane Arbus ou Nan Goldin à la même époque, l’attirance pour le milieu trans de la part du monde de l’art témoigne d’un malaise social généralisé dans les années
soixante/ soixante dix.

    C’est à ce malaise que répond Linder, au moyen de différents médiums, usant de la provoc’ et de la transgression. Le spectateur est ainsi invité à rentrer dans une première salle, bien pensée, aux allures intimistes. Les murs gris foncés sont éclairés par quelques spots et les caissons lumineux dans lesquelles les oeuvres sont exposées,offrent une ambiance tamisée.

    Ce qui me marque immédiatement est un des objets utilisés pour scénographier l’espace et qui est tout à fait à propos dans l’Oeuvre de Linder : le long voile qui découpe l’espace, suspendu sur des rails. Il découpe cette première pièce pour créer une salle de projection, dont on distingue à peine la fonction, grâce à la transparence du rideau. Derrière, une vidéo de Linder qui performe sur scène lors d’un concert qu’elle donne avec son groupe de punk, Ludus. Vêtue d’un corset de viande crue, se mouvant dans un espace décoré par des tampons hygiéniques trempés dans de l’encre rouge, un grand gode-ceinture noir sur les hanches, elle pousse des cris orgasmiques. C’est ici qu’intervient le rideau, de manière assez judicieuse. En effet, de l’extérieur, et en ne se fiant qu’aux bruits qui en sortent, on dirait presqu’une salle de projection de film pornographique. Je ne peux pas m’empêcher de penser à Vallie export, m’attendant à la trouver la trouver là , jambe écartées,offrant son pubis à la vue de chacun. C’est très contextualisant et donne une ambiance finalement assez cohérente avec le reste de la
pièce.

     De plus, la thématique du masque, du dévoilement, est très à propos dans le travail de l’artiste: ce long voile, qui va nous suivre tout au long de l’exposition, accentue la volonté de Linder de donner à voir ce qui déjà est trop visible et ainsi ‘’ rompre l’image idéale de la femme en faisant le portrait de son aliénation’’ .

      Le reste de la salle renferme une multitude de travaux différents. Aussi découvre t-on les pochettes d’albums de musique créés par Linder, des dessins pornographiques, des articles d’époque, des portraits de l’artiste par Birrer ( série SheShe, qui par son esthétique de mode et sa plasticité rappelle l’univers de Valérie Belin) … mais surtout ses premiers photomontages.

      Piochant dans divers vieux magazines féminins et masculins, de mode comme de pornographie, l’artiste fait naître des espèces hybrides de femmes dont les têtes sont remplacées par des fers à repasser, les seins recouverts par des paires de lèvres pulpeuses, le pubis par des roses. On surfe à la fois sur la femme utilitaire et la femme objet de désir. Le fait qu’elle travaille de manière très précise, au scalpel, offre un rendu assez bluffant qui ne se différencie pas d’une image publicitaire. Bien que l’association soit un peu facile à mon goût, la transgression se fait tout naturellement au sein d’un vocabulaire auquel l’oeil est habitué. De plus, la systématisation de mêmes motifs est très en lien avec les procédés de la pub.

      Jusqu’ici tout est cohérent, le sujet est mis en scène, et finalement la première salle aurait nettement suffit. En effet, après visionnage du film, et une ribambelle de fleurs,lèvres, gateaux, fleurs et fleurs et fleurs, on entre dans la seconde partie de l’exposition, bien décevante...
Peinte en gris clair, elle marque une avancée dans le temps. On sent que le propos commence à tourner en rond, et l’accrochage en témoigne! Les collages sont placés en rang d’oignon, le long des murs. Même taille, même niveau, même espacement. On a peine à s’y pencher, alors on passe. On aurait aimé un ou deux plus grand tirage, une sorte d’effet loupe grand format pour rompre la monotonie visuelle qui se met en place.

    La toute dernière salle, plus vaste, est toujours suivie par de long voilage blancs, et peinte dans des couleurs mi flashy-mi pastels d’assez mauvais goût. On y voit trois grands muraux assez littéraux, représentant Linder couverte de peinture et autres liquides aux couleurs criardes, une vidéo amusante, mais surtout … une cinquantaine de collages.

    Lassant, et rapidement énervant. La répétition devient anachronique, puisque Linder continue d’utiliser des magazines d’un autre temps, et le propos se complait dans la nostalgie. Plus qu’une vaste production, on voit là une artiste en panne d’inspiration et finalement fermé sur son propos … 

    Cette dernière partie d’exposition a pourtant le mérite de poser des questions intéressantes sur le statut de la femme en occident, car plus on y avance, plus on voit que ce que Linder fait ne fonctionne plus et sonne creux. Une tentative de transgression sur des évidences.
 Je ne comprends pas ce rapprochement fait avec la pratique du collage dada. A mon sens
Linder n’est plus quelqu’un d’engagé dans une réflexion contemporaine, mais seulement dans un mécanisme de production vidé d’observation.
Les images qu’elles utilise et qui culminent en sa fin de carrière par des clichés pornographique n’ont plus rien à voir avec la réalité. Trop lourdes de sens. Tout le monde sait que les femmes des films pornographiques sont présentées comme de la viande, sans qu’en plus ou leur rajoute une chouquette à la crème entre les jambes. La pornographie véhicule autant d’image qu’il y a de catégories sur YouPorn, pour les femmes autant que pour les hommes. On est dans du fantasme, de l’imagerie imaginaire. Et si les trois quart des pornstars ont des implants mammaires, il ne faut pas oublier qu’un visiteur sur trois de site x est une femme.... ne serait il pas plus intéressant de s’intéresser aux modes de réceptions, à la circulation même du cliché véhiculé par l’image et pas seulement à l’image elle même?


De plus , ce que Linder isole totalement, c’est l’image de l’homme actuel. Loin du statut de patriarche, de la figure de virilité et de protection, l’homme se voit lui aussi offrir un nouveau type de presse ( et ça marche bien!). Il se maquille, il s’épile. Sur adopteunmec.com il est mis dans un panier par des femmes qui font leurs courses. L’homme objet existe lui aussi. Et de ce fait Linder n’en dit pas long, mais bien court sur la condition féminine en ne s’accordant pas de changer son point de vue. Bien sur le féminisme a encore des causes à défendre, et des inégalités persistent, mais sa pratique ne peut s’isoler des nouveaux paradigmes sociaux et d’une emprise avec la réalité.

Alors suite à cette exposition, je me demande ... Pourquoi ne pas aller plus loin ? Il serait temps de se pencher sur l’individu plus que sur le genre dans une société comme la notre. Linder dit: ‘’ anatomy is not destiny’’. Et c’est bien sur cette réflexion hypercontemporaine qu’il y a quelque chose à faire. La femme objet l’est elle encore tant que ça? Orlan n’a de cesse de crier un droit à disposer de son propre corps, à s’engager dans un processus d’auto-création. Zombie boy se revêt d’un costume de mort, totalement
tatoué sur sa peau. Et c’est ça les possibilités contemporaines. La presse, le porno, la mode, le tatouage, le piercing... Monde de choix et de possibilités proposé par la multitude d’images qui nous entourent. Nous sommes, femmes et hommes, des corps-objets, mais finalement ne sommes nous pas en train de reprendre les rennes?

vendredi 5 juillet 2013

Marc Baueur - Centre culturel Suisse - 2013

'' Le collectionneur'' – Marc Bauer 
Du 1er février au 14 Avril 


     Le Centre Culturel Suisse, situé dans le marais, présentait cette année l'exposition ''Le collectionneur'' de Marc Bauer, un artiste/dessinateur d'origine suisse extrêmement talentueux. Au travers de dessins, fresques murales, et peintures sur plexiglas en noir et blanc, l'artiste retrace l'histoire de la spoliation des juifs par les nazis, usant d'un trait spontané et poétique, fort et fragile à la fois. 


      La première salle d'exposition, d'assez petite taille, est saisissante. Trois de ses murs sont occupés par des dessins petits formats au crayon, mais le clou du spectacle est un dessin mural qui prend toute la place, à la craie noire. Impressionnant, étonnant. Plus on s'approche, moins l'on peut comprendre de quoi il s'agit. La salle permet juste le recul nécessaire pour saisir en grand les enchevêtrement de personnages, de tonalités de gris différentes. On comprends peu à peu qu'il s'agit là d'un rideau de théâtre, en train de se fermer sur un bal, ou quatre personnages dansent encore. Le tout est plongé dans une atmosphère assez surréaliste, avec des personnages, troncs d'arbres,architectures, formes imbriquées. Il y a quelque chose d'assez inquiétant, voire cauchemardesque, scindé en son milieu par une scène encore berçée d'insouciance. Dans les années 40, durant l'occupation, les bals étaient en effet chose commune au sein des théâtres (la fresque est réalisé d'après une photo d'archive, comme une bonne part des autres dessins de l'exposition).
       Ce premier tableau mural donne le ton , tout en hiérarchisant l'espace, en le construisant. Lors de la dernière exposition, Body Languages, le CCS ne semblait pas avoir du tout la même ambiance. Il y a quelque chose de plus froid dans la salle aménagée par Marc Bauer, d'un peu glacial …  
Tout comme le propos du dessinateur, qui nous ramène à des choses que nous n'avons pas vécues, mais qui restent ancrées dans une histoire et un imaginaire commun, enrayé par des films, des récits … la Seconde Guerre mondiale.  Il paraît assez étonnant qu'un artiste suisse s'interresse à ce point et semble habité par cette période de l'histoire puisqu'il n'a pas de relation avec le sujet, que ça n'appartient pas à son histoire personnelle. Cependant, Marc Bauer explique justement cette particularité qu'il a de s'intéresser à ces choses qui lui échappent.

        Les autres dessins de l'exposition, sont pour la plupart en lien direct avec la spoliation des juifs. Travaillant avec des photographies d'époque de famille, d'amis, avec des images d'archive, Marc Bauer tente de reconstituer l'atmosphère des années quarante, sous le signe d'une certaine fragilité. Pour bonne part, ces dessins sont ceux d'intérieurs, vidés de leurs habitants, ou des boxes dans lesquels étaient entassés les objets volés au juifs et sur lesquels se construisait tout un commerce. Des meubles aux histoires dramatiques …
Ne sachant pas réellement sur quoi porte l'exposition en y entrant, j'ai du mal à comprendre, dès le départ, de quoi il s'agit. Entre ce grand mur peu compréhensible, de la vaisselle entassée, le visage du capitaine Hadock et des papillons dessinés au crayons,. Je met du temps à saisir le lien entre les choses.
Le lien, c'est ''le collectionneur''. Collectionneur d'images, collectionneur d'objets, collectionneur de souvenirs. L'homme omnipotant qui contrôle.. 




        Marc Bauer entame dans toute cette exposition un réel travail de mémoire, avec des dessins jouant sur plusieurs temporalités, et dont le caractère principal est l'effacement. J'apprécie énormément le travail du dessin, allié à celui du souvenir. C'est certainement le médium le plus approprié qu'à utilisé là l'artiste.
En retravaillant ses surfaces au crayon ou à la craie avec la gomme, il creuse dans le dessin, opère une soustraction , l'efface littéralement. Les dessins muraux voués a être repeints et la collection de papillons soutiennent l'idée d’éphémère, de fragile . Les quatre vases peints en céramique, aux allures bourgeoises, balisent les coins de l'espace d'exposition et leurs bouquets se fânnent, au fil du temps qui passe. La seule touche de couleur disparaît elle aussi. L'artiste semble vouloir que l'on profite de l'instant. 
Les peintures sur plexiglas ont cet aspect fantomatique qui les met en mouvement, leur impose un flou, une rêverie inquiétante. Tout est finalement très étrange. Dans un style qui se corrode, Marc Bauer fait donc apparaître les images. Jamais trop stylisées mais toujours basiques, reconnaissables. Nous spectateurs les reconnaissons partageons cet imaginaire commun qui nous permet de faire le lien entre les représentations et de se faufiler dans la brèche de ce dessin, pas si figé que cela.

       Alors certes, le dessinateur n'a pas vécu cette part de l'histoire, mais il nous permet de nous y plonger, de passer de photographies d'endroits intimes, à une histoire plus globale. J'ai été particulièrement sensible à une série de dessins, narratifs cette fois ci. On suit l'entrée à paris d'un jeune soldat allemand, encore naïf et émerveillé. 

'' Nous arrivons dans la ville, 
le soleil et les sourires nous baignent. 
Mon ombre noire est plaquée, 
dense et immense, 
devant mes pas
et je sais que la ville, 
avec tout ce qu'elle comporte est à nous,
tout ce que nous voyons nous est offert, et, 
à perte de vue, 
cela nous appartient.
Nous sommes au delà de nous- même dans le reflet de leur regard.'' 

      L'association des dessins à la narration écrite est très forte. J'apprécie également ces phrases simples écrites à même l'image, avec des lettres en majuscule, au crayon. Parfois couplées de fautes d'orthographes, des syntaxes maladroites. Comme une difficulté à dire les choses, à la manière de Beckett.  L'exposition se termine, finalement, par le dernier grand dessin mural. Un homme, tel un grand marionnettiste, est penché sur une maquette énorme de ville , représentée à la manière d'un paysage. Les grandes traînées noires et violentes entourent la représentation, comme des grands bras, des grands monstres de cauchemar. L'impression très lisible de la toute puissance … 



 Marc Bauer réalise une très belle exposition, qui nous ramène à une époque à la fois familère et terrifiante, que l'on a aujourd'hui du mal à se figurer, au moyen de ce médium archaïque qu'est le dessin. Ce même dessin qui met du temps à s'inscrire, et que l'artiste efface, volontairement .. Laissant des trous dans les textes, dans les représentations, dans l'histoire, pour permettre au spectateur de s'y glisser.