Du 1er Février au 21 Avril 2013 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
Commissariat : Emmanuelle de l’Ecotais
assistée par Véronique Bérard-Rousseau
Linder Sterling, dite Linder, investit cette année le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris à l’occasion d’une rétrospective complète de son parcours, des années soixante-dix à aujourd’hui. Féministe engagée, l’artiste réfléchit sans discontinuer la condition féminine selon un axe majeur : celui de la femme objet ; qui donne son nom à l’exposition. Plus ou moins convaincante sur le fond, et dans le temps, je tiens cependant
à aborder l’oeuvre de Linder au travers de la scénographie qui nous a été proposée. Tout à fait cohérente et soignée, elle suit chronologiquement l’oeuvre de Linder, d’un fourmillement créatif à une redite explicite.
Le texte d’entrée de l’exposition nous invite à pénétrer l’univers de l’artiste britannique. Elle grandit à Manchester, en pleine crise économique, et participe à toute la révolte artistique qui s’en suit, surfant sur la vague libertaire punk, tout en s'intéressant de près au mouvement de libération des femmes.Ces éléments contextuels justifient pour bonne part les axes de travail de l’artiste, son intérêt pour les matériaux pauvres
(magazines), son lien avec la scène musicale punk; mais également le terreau de son engagement envers le statut accordé à la femme.
En effet, les premières photos de l’exposition ( série We are the kind of peope who know the value of time), disposées dans l’entrée, sont prises dans des clubs de travestis, à Manchester, dont Linder dit qu’ils sont les seuls lieux ou l’on peut se sentir bien,s’abstraire d’un jugement ‘’sans être persécuté de quelque façon que ce soit’’. De même que les clichés de Diane Arbus ou Nan Goldin à la même époque, l’attirance pour le milieu trans de la part du monde de l’art témoigne d’un malaise social généralisé dans les années
soixante/ soixante dix.
C’est à ce malaise que répond Linder, au moyen de différents médiums, usant de la provoc’ et de la transgression. Le spectateur est ainsi invité à rentrer dans une première salle, bien pensée, aux allures intimistes. Les murs gris foncés sont éclairés par quelques spots et les caissons lumineux dans lesquelles les oeuvres sont exposées,offrent une ambiance tamisée.
Ce qui me marque immédiatement est un des objets utilisés pour scénographier l’espace et qui est tout à fait à propos dans l’Oeuvre de Linder : le long voile qui découpe l’espace, suspendu sur des rails. Il découpe cette première pièce pour créer une salle de projection, dont on distingue à peine la fonction, grâce à la transparence du rideau. Derrière, une vidéo de Linder qui performe sur scène lors d’un concert qu’elle donne avec son groupe de punk, Ludus. Vêtue d’un corset de viande crue, se mouvant dans un espace décoré par des tampons hygiéniques trempés dans de l’encre rouge, un grand gode-ceinture noir sur les hanches, elle pousse des cris orgasmiques. C’est ici qu’intervient le rideau, de manière assez judicieuse. En effet, de l’extérieur, et en ne se fiant qu’aux bruits qui en sortent, on dirait presqu’une salle de projection de film pornographique. Je ne peux pas m’empêcher de penser à Vallie export, m’attendant à la trouver la trouver là , jambe écartées,offrant son pubis à la vue de chacun. C’est très contextualisant et donne une ambiance finalement assez cohérente avec le reste de la
pièce.
De plus, la thématique du masque, du dévoilement, est très à propos dans le travail de l’artiste: ce long voile, qui va nous suivre tout au long de l’exposition, accentue la volonté de Linder de donner à voir ce qui déjà est trop visible et ainsi ‘’ rompre l’image idéale de la femme en faisant le portrait de son aliénation’’ .
Le reste de la salle renferme une multitude de travaux différents. Aussi découvre t-on les pochettes d’albums de musique créés par Linder, des dessins pornographiques, des articles d’époque, des portraits de l’artiste par Birrer ( série SheShe, qui par son esthétique de mode et sa plasticité rappelle l’univers de Valérie Belin) … mais surtout ses premiers photomontages.
Piochant dans divers vieux magazines féminins et masculins, de mode comme de pornographie, l’artiste fait naître des espèces hybrides de femmes dont les têtes sont remplacées par des fers à repasser, les seins recouverts par des paires de lèvres pulpeuses, le pubis par des roses. On surfe à la fois sur la femme utilitaire et la femme objet de désir. Le fait qu’elle travaille de manière très précise, au scalpel, offre un rendu assez bluffant qui ne se différencie pas d’une image publicitaire. Bien que l’association soit un peu facile à mon goût, la transgression se fait tout naturellement au sein d’un vocabulaire auquel l’oeil est habitué. De plus, la systématisation de mêmes motifs est très en lien avec les procédés de la pub.
Jusqu’ici tout est cohérent, le sujet est mis en scène, et finalement la première salle aurait nettement suffit. En effet, après visionnage du film, et une ribambelle de fleurs,lèvres, gateaux, fleurs et fleurs et fleurs, on entre dans la seconde partie de l’exposition, bien décevante...
Peinte en gris clair, elle marque une avancée dans le temps. On sent que le propos commence à tourner en rond, et l’accrochage en témoigne! Les collages sont placés en rang d’oignon, le long des murs. Même taille, même niveau, même espacement. On a peine à s’y pencher, alors on passe. On aurait aimé un ou deux plus grand tirage, une sorte d’effet loupe grand format pour rompre la monotonie visuelle qui se met en place.
La toute dernière salle, plus vaste, est toujours suivie par de long voilage blancs, et peinte dans des couleurs mi flashy-mi pastels d’assez mauvais goût. On y voit trois grands muraux assez littéraux, représentant Linder couverte de peinture et autres liquides aux couleurs criardes, une vidéo amusante, mais surtout … une cinquantaine de collages.
Lassant, et rapidement énervant. La répétition devient anachronique, puisque Linder continue d’utiliser des magazines d’un autre temps, et le propos se complait dans la nostalgie. Plus qu’une vaste production, on voit là une artiste en panne d’inspiration et finalement fermé sur son propos …
Cette dernière partie d’exposition a pourtant le mérite de poser des questions intéressantes sur le statut de la femme en occident, car plus on y avance, plus on voit que ce que Linder fait ne fonctionne plus et sonne creux. Une tentative de transgression sur des évidences.
Je ne comprends pas ce rapprochement fait avec la pratique du collage dada. A mon sens
Linder n’est plus quelqu’un d’engagé dans une réflexion contemporaine, mais seulement dans un mécanisme de production vidé d’observation.
Les images qu’elles utilise et qui culminent en sa fin de carrière par des clichés pornographique n’ont plus rien à voir avec la réalité. Trop lourdes de sens. Tout le monde sait que les femmes des films pornographiques sont présentées comme de la viande, sans qu’en plus ou leur rajoute une chouquette à la crème entre les jambes. La pornographie véhicule autant d’image qu’il y a de catégories sur YouPorn, pour les femmes autant que pour les hommes. On est dans du fantasme, de l’imagerie imaginaire. Et si les trois quart des pornstars ont des implants mammaires, il ne faut pas oublier qu’un visiteur sur trois de site x est une femme.... ne serait il pas plus intéressant de s’intéresser aux modes de réceptions, à la circulation même du cliché véhiculé par l’image et pas seulement à l’image elle même?
De plus , ce que Linder isole totalement, c’est l’image de l’homme actuel. Loin du statut de patriarche, de la figure de virilité et de protection, l’homme se voit lui aussi offrir un nouveau type de presse ( et ça marche bien!). Il se maquille, il s’épile. Sur adopteunmec.com il est mis dans un panier par des femmes qui font leurs courses. L’homme objet existe lui aussi. Et de ce fait Linder n’en dit pas long, mais bien court sur la condition féminine en ne s’accordant pas de changer son point de vue. Bien sur le féminisme a encore des causes à défendre, et des inégalités persistent, mais sa pratique ne peut s’isoler des nouveaux paradigmes sociaux et d’une emprise avec la réalité.
Alors suite à cette exposition, je me demande ... Pourquoi ne pas aller plus loin ? Il serait temps de se pencher sur l’individu plus que sur le genre dans une société comme la notre. Linder dit: ‘’ anatomy is not destiny’’. Et c’est bien sur cette réflexion hypercontemporaine qu’il y a quelque chose à faire. La femme objet l’est elle encore tant que ça? Orlan n’a de cesse de crier un droit à disposer de son propre corps, à s’engager dans un processus d’auto-création. Zombie boy se revêt d’un costume de mort, totalement
tatoué sur sa peau. Et c’est ça les possibilités contemporaines. La presse, le porno, la mode, le tatouage, le piercing... Monde de choix et de possibilités proposé par la multitude d’images qui nous entourent. Nous sommes, femmes et hommes, des corps-objets, mais finalement ne sommes nous pas en train de reprendre les rennes?