CORRESPONDANCES
Du 1er Février au 5 mai 2013
Commissariat : Erik Verhagen
La maison Louis Vuitton présentait cette l'exposition '' Correspondances'' au sein de l'espace culturel qui lui est dédié sur les Champs Elysées. Si le fondateur de la marque a bâti sa renommée sur la création et la vente d'objets de voyage de luxe, le lieu d'exposition accolé au grand magasin ne déroge pas à cette direction et sait rester dans cette veine de l'Ailleurs en présentant une rétrospective assez marginale : celle du Mail Art, ou Art postal. A travers le travail d'artistes de différentes générations, l'on aborde cette pratique depuis ses prétendues origines, dans les années cinquante, jusqu'à aujourd'hui.
Sans d'autre mot d'ordre que celui de '' Correspondances'', l'expositiona a le mérite de convoquer des questionnements très contemporains mais dans une logique un peu trop inventorielle à mon sens... Aussi c'est par les problématiques sous jascentes au Mail art que j'ai choisis de rendre compte de mon parcours.
Mon entrée dans l'exposition s'est faite sans attente particulière ni idée préconçue étant donné le peu de choses que pouvait m'évoquer le mail art. Il faut en effet noter qu'il s'agit d'une pratique relativement isolée, sous le signe de l'éphémère et emprunte d'une légèreté certaine.
Dans la première salle nous est présentée l'œuvre de Ray Johnson, initiateur non revendiqué de l'art postal à la fin des années cinquante. Cette dernière incarne une pratique participative sous le signe du réseau, de l'interaction et met ainsi en avant un des grands thèmes de l'exposition.
En effet, si au premier abord on n'y voit seulement des enveloppes et courriers annotés, habillés de divers collages et dessins, on finit par comprendre que l'artiste met en œuvre un protocole : Il demande aux destinataires des courriers qu'il a lui même ''customisés'' de les parachever et de les lui renvoyer. Il est intéressant de noter qu'à ce stade ci, le résultat de ''l'œuvre'' dépend de l'activité d'un tiers, de son implication. Ce dernier, le destinataire, est donc actant et passe de sa position première à celle de réexpéditeur.
Ici l'on joue de l'interaction, mais sans tomber dans l'art interactif si répandu aujourd'hui : Nombre d'oeuvres contemporaines sont parfois bêtement ludiques et didactiques, pour donner au spectateur le sentiment d'être en activité, et non passif face à l'art. Seulement, l'action du public étant incluse dès le départ dans la création de l'œuvre, elle est déjà attendue, prévue. Dès lors, le public n'agit pas réellement sur l'œuvre, mais est agit sans le percevoir..
Ainsi Ray Johnson, mais également Vittorio Santoro par exemple, questionnent assez radicalement le statut d'auteur dans leur travaux. L'oeuvre n'est pas imposée comme telle, de fait, par l'artiste. L'objet prosaïque qu'est la lettre devient, se construit en tant qu'oeuvre à partir du moment ou elle est envoyée et passe par la main d'autres personnes impliquées dans le protocole.
On arrive finalement a percevoir un décalage notable entre le mail art et l'art contemporain, lequel est d'autant plus fort du point de vue du mode d'exposition. ''Correspondances'' ne m'a pas convaincue outre mesure de manière formelle . L'espace est terne, et les œuvres ne rayonnent pas. Le mail art, pratique très vivante dans laquelle les objets circulent, sont manipulés, est présenté comme figé. Immobiles et accrochées sous plastiques, les lettres manquent de vie et les tables sous verres sont peu
engageantes.
Bien sur, il faut penser l'exposition, ses contraintes et la protection des œuvres... Moi même, je ne sais pas comment j'aurais concilié les choses.. pouvoir manipuler cartes et lettres avec des gants,peut être ? La poésie du mail Art se situe dans la temporalité et l'espace de la correspondance, pas dans le white cube, ni dans l'objet qui perdure de cette correspondance. Choix complexe que de présenter et scénographier l'art postal dans un espace coupé lui même du temps et du vivant.
Il est vrai que certain artistes de l'art postal, issus d'une deuxième génération (à partir des années 1980), on su s'adapter aux contraintes muséales, à contrario de leurs ''ailleux'' beaucoup plus investis par la nécessité de sortir de l'espace sacralisant de la galerie. Et cela tout en recherchant un nouveau langage d'expression, en marge du marché de l'art ( avec des œuvres souvent gratuites et pauvres).
Ces artistes les plus récents, donc, ont finit par conjuguer leur pratique aux espaces institutionnels, et il est intéressant de voir comment ils parviennent finalement à détourner les choses. Dan Võ par exemple, présente une œuvre ayant tout du visuel de l'installation/sculpture contemporaine. Une valise a roulette au centre d'une petite salle blanche, ouverte et contenant un morceau de statue médiévale. Cette dernière, Dan Vo en a fait l'acquisition et l'a scindée en plusieurs morceaux avant de l'envoyer de la même manière, par la poste, à différents musées dans le monde.
Cette entreprise ramène naturellement l'œuvre à l'aspect prosaïque qu'elle revêt durant son transport, mais cristallise surtout le lien fort qu'il existe entre le temps et l'espace dans Correspondances. Car l'on parle bien de faire voyager un présent, celui de l'énonciation, à travers l'espace au moyen de la poste, pour le faire atterrir dans un autre lieu, un nouveau présent où la rencontre se fait.
Cette installation est bel et bien synonyme d'un déplacement dans l'espace, appuyé par ce
morceau de statue médiévale, chargée elle aussi d'une temporalité propre à la fois par
son caractère historique et par son expéditeur.
Une autre pièce de l'exposition a retenu mon attention : la vidéo '' Lettres mexicaines'' de Clarisse Hann. Après avoir tourné un documentaire sur un prètre mexicain, l'artiste promet de lui envoyer ses images, mais il ne les reçoit jamais par erreur de la poste. Comme une seconde promesse, Clarisse Hahn reprend un second film avec ses anciens rush, et invente une correspondance fictive entre amis, à l'image de sa relation avec le prètre. Nous voyons donc ces petites tranches de vie mexicaines, paysages, personnages, villages. Quelque chose d'assez onirique nous berce, accompagné par la voix de clarisse Hahn qui lit des courriers venus de l'autre côté de l'atlantique, parlant de son voyage
passé là base et de sa vie actuelle. J'ai beaucoup apprécié cette petite parenthèse qui ramenait à la magie de ce qui se jouait à l'intérieur de la correspondance. On y perçoit très bien la différence des deux
temporalités, la distanciation, le Ailleurs et le Maintenant. Les images, le mouvement, donnent le ton et permettent d'apporter de la vie à l'espace de l'exposition.
Le dernier point assez sensible de ''Correspondances'' est plutôt rangé du côté du spectateur. On est curieux de découvrir les réponses aux lettres, les différentes écritures ; nous sommes introduit dans l'intimité d'une correspondance. Et puis, la profusion de courriers, colis, timbres, nous ramène à des souvenirs, et pour ma part à une certaine nostalgie. Celle de la lettre, de l'objet-lettre.

Stephen Antonakos demande à des personnes de lui envoyer des colis, contenant ce qu'ils souhaite, pour son ''Package Project''. Mais jamais il ne les ouvrira. Nous sommes face à ses petites capsules dont nous ne sauront jamais ce qu'elles contiennent. On fantasme, un peu. C'est léger, mais cela suffit à donner envie et à se rappeler une certaine part de l'enfance, celle de l'attente du courrier, d'une réponse. A l'ère de l'immatériel, on a sa boîte mail dans la poche, nous sommes hyper-connectés. Et il me semble parfois que la lenteur du courrier avait quelque chose de poétique à l'instar de l'immédiateté des
moyens de télécommunication actuels.
Sous des dehors assez froids, Correspondances est une exposition qui arrive judicieusement,à une époque de transition, et qui sait poser des questions intéressantes. Elle fonctionne comme une mise en abime de ce qui sous tend les relations humaines : interaction, interdépendance, et questionne la poursuite de la pratique artistique sur ce terrain, à l'heure de l'immédiateté et du message immatériel. Qu'elles nouvelles voies se verront explorées ? S'ouvre t-on à l'email art ?